2. S’organiser quand on est doctorant salarié
a) Avoir une stratégie de long terme
S’organiser quand on est doctorant salarié, c’est le nerf de la guerre. Les doctorants salariés savent que la difficulté n’est pas seulement de mener de front leur thèse et leur travail, c’est qu’il faut remplacer le financement par des expériences valorisantes. Cela les rassure, d’abord, car cela compense.
Il va sans dire qu’une thèse non financée est une thèse qui n’a pas fait ses preuves de rentabilité. Vous pouvez mettre n’importe quel discours et n’importe quelle expérience là-dessus, ce sera vrai dans l’esprit des gens jusqu’à la fin des temps.
Par conséquent, le doctorant salarié va souvent chercher à accumuler les expériences. Plus la fin de la thèse approche, plus il est surchargé. Je pense que c’est une logique gagnante, que c’est ce qu’il faut faire pour optimiser ses chances dans la poursuite de carrière. Le problème, c’est que c’est surhumain de gérer une thèse, un emploi et différentes activités supplémentaires.
S’organiser est une clé qui vous permettra de gérer au mieux l’anxiété qui peut survenir du fait de la surcharge de travail. Il faut une stratégie, et je ne parle pas d’un truc très compliqué. Il s’agit juste d’être au clair avec vous-même sur les actions à mener, de sorte à éviter les réflexions dans l’urgence et les mauvaises décisions – celles qui sont prises selon les émotions ou la fatigue du moment.
Pour ma part, j’ai commencé mon doctorat en étant surveillante dans un internat. Cela me permettait de travailler la nuit, d’être payée pour être présente et dormir sur place. C’est vraiment le meilleur job que je pourrais conseiller aux doctorants non-financés, même si je sais que c’est facile à dire. À l’époque, je venais de me séparer et ce job m’a rendu service car il comblait un certain vide, une certaine réalité. Je me suis remise de cette rupture à la vitesse de l’éclair grâce à ce planning qui était particulier, mais je ne pense pas que j’aurais fait ce job si j’avais été en couple ou en famille.
À temps plein, ce job représentait trois ou quatre nuits par semaine. Il fallait arriver à 18 heures, surveiller le réfectoire pendant que les jeunes dînaient puis les surveiller durant la soirée. À partir de 20 heures 30, c’était très calme. Ma collègue était doctorante aussi, ce fut ma chance. On a passé nos soirées à discuter de tout ce qui nous occupait et nous avions de bonnes relations avec les jeunes.
C’était un travail relativement agréable et on pouvait travailler un peu le soir si on le souhaitait. On se couchait quand on voulait et on se levait vers 6 heures pour se préparer. Il fallait encore surveiller le petit déjeuner et nous quittions l’établissement à 8 heures du matin.
La plupart du temps, après le travail je rentrais chez moi travailler sur ma thèse ou j’allais le faire à l’université. La difficulté quand je rentrais chez moi était de ne pas aller me recoucher ou de laisser filer la matinée, et la difficulté quand j’allais à l’université était de ne pas être tentée de rentrer après le déjeuner. Même si nous pouvions dormir à l’internat, ce n’était pas comme être chez soi. Les moments de calme arrivaient tard dans la soirée, au réveil il fallait être opérationnel et dormir hors de chez soi n’est jamais aussi reposant que de le faire à la maison.
C’est un travail qui use énormément. Le fait d’être sans cesse dans l’alternance entre l’internat et la recherche était compliqué, c’était deux modes différents et on passait souvent deux à trois jours sans rentrer à la maison, donc sans se relâcher vraiment. Ajouter à cet emploi du temps strict entre le lycée et la thèse, la préparation d’une intervention en colloque ou une première publication, puis des heures d’enseignement – jusqu’à 15 heures par semaine –, puis l’organisation de colloques, et le temps passé comme représentante des doctorants ou à chercher des financements, serait devenu ingérable si je n’avais su renoncer temporairement à mon travail de thèse.
J’étais parfois si épuisée et surchargée que l’idée de me rendre au lycée me donnait la nausée, alors j’appelais et je disais que j’étais souffrante. Quand on fait cela, on croit qu’on ment et on culpabilise énormément. On se dit qu’on ne sera jamais à la hauteur, qu’on n’arrive pas à gérer, mais avec le recul je pense au contraire que c’est la seule manière de réussir. C’est une façon d’être à la hauteur.
Toutes les fois où je me suis forcée à me rendre au travail ou à bosser sur ma thèse alors que l’idée même de le faire me donnait la nausée, je l’ai payé dix fois le prix par la suite. Quand votre corps vous envoie ce signal, c’est qu’il faut s’arrêter. C’est que c’est vital, c’est pour vous préserver.
J’ai fait l’erreur de percevoir mon corps comme un obstacle, mon mental tenait mieux. J’avais la volonté mais le reste ne suivait pas et cela m’énervait donc je faisais du sport pour me renforcer. Quelle erreur. Je me suis littéralement détruite. Je luttais en me disant que mon corps se remettrait, comme si l’esprit et le corps avaient la même vocation au lieu d’être complémentaires. C’est comme ça que j’ai fini hospitalisée. Mon corps pouvait marcher en effet, mais mon esprit était brûlé, à l’état de cendres.
Écoutez votre corps, il a toujours raison. Respectez vos temps de pause, même quand vous avez ce sentiment d’effusion qu’on connaît tous en recherche. Ce sentiment d’effusion précède souvent les pires moments d’abattement, c’est un leurre de l’esprit. Vous êtes comme un enfant épuisé, vous courrez partout avec enthousiasme. Méfiez-vous de ces sensations-là.
Faites un calendrier pour l’année, soyez large avec des longues plages pour faire les plus petites choses. Prévoyez des pauses dans les journées, prévoyez des congés, protégez vos weekends comme si votre vie en dépendait, car c’est le cas.
Vous devez principalement comprendre que maintenant, vous croyez que vous n’aurez rien à faire dans trois mois mais qu’entre temps des tas de choses vont se programmer. Vous n’aurez jamais le temps dans trois mois, ce sera exactement comme maintenant dans trois mois. La règle d’or pour ne pas être dépassé est de bloquer les temps de pause à l’avance et de ne jamais sacrifier ces temps-là. Vous pouvez les reporter dans la journée, mais jamais au lendemain.
b) Les stratégies de court terme
Pour gérer le court terme et les périodes chargées, mon principal conseil est le même que pour le long terme : se préserver et s’organiser. Hiérarchisez et évacuez tout ce qui n’est pas urgent. En l’occurrence, la thèse n’est pas toujours urgente. Le job peut sauter à certains moments, quitte à rattraper les heures par la suite.
Si vous êtes actuellement dans une période surchargée, un simple planning jour par jour sur la semaine à venir, avec des objectifs réalistes, sera une excellente solution pour reprendre le dessus. Un cerveau surchargé est obsédé par tout ce qui n’est pas fait, au lieu d’être obsédé par ce qui est fait. Par conséquent, prendre du temps pour vous poser et faire le point vous semblera contre-productif voire impossible alors que c’est exactement ce que vous devez faire pour calmer l’anxiété et votre impression d’être dépassé.
Posez-vous et faites le point sur ce qui est fait et sur ce qui reste à faire. Lister ce qui est fait est important pour la sensation d’accomplissement. C’est bénéfique. Lister ce qui reste à faire va vous permettre de hiérarchiser du plus urgent au moins urgent. Ensuite, reportez les actions dans un semainier, papier de préférence pour l’avoir sous les yeux en entier – les agendas électroniques ont souvent le défaut de ne pas nous permettre de visualiser la semaine entière. Or, visualiser votre semaine va vous aider à installer le calme en vous.
De même, si certaines sorties sont exclues sur ce type de période, prendre du temps pour vous est possible et doit faire partie de vos priorités : passer du temps de qualité avec votre conjoint et/ou les enfants à la maison, prendre le temps de cuisiner des petits plats que vous aimez ou vous offrir justement ces semaines-là, des petites commandes en livraison exceptionnellement ; prendre un bain, vous faire un cadeau, écrire dans votre journal, sont autant de petites attentions pour vous-même qui vous feront du bien.
L’essentiel, vous l’aurez compris, c’est de ne pas vous oublier. Ne vous faites pas passer en dernier, vous êtes prioritaire. On n’est pas performant lorsqu’on va mal ou qu’on délaisse notre santé physique et psychique, alors faites-vous plaisir en illimité et félicitez-vous d’être à la hauteur, parce que vous l’êtes.
La dernière partie de cet article sera publiée la semaine prochaine. Pour l’écouter en entier en podcast, c’est par ici 👉 PODCAST
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4 réponses
Madame,
Je vous remercie pour votre témoignage. Je vais proposer un sujet de thèse en sciences humaines, 22 ans plus tard, donc j’espère être doctorante salariée. Cordialement
Bonjour Céline,
Merci à vous pour ce retour. En principe ce sera possible en SHS, et je vous souhaite une belle réussite. 22 ans plus tard, cela ne m’étonne pas. Quand c’est là, c’est là. ALlez au bout de vous-même.
À bientôt par ici 🙂
Erika