La peur de parler en public, c’est la grande peur de l’humanité. C’est une peur que la conscience collective place au-dessus de la peur de mourir. Et ce qu’il y a de fou en doctorat, c’est que les grandes peurs de l’humanité que vous allez devoir affronter ne seront que des crédits doctoraux à valider.
Des crédits secondaires, en plus. Le doctorat, ce n’est pas parler en public. Le doctorat c’est la thèse. Mais la thèse est ponctuelle, vous ne la ferez qu’une seule fois. Parler en public, c’est tout au long de votre carrière que vous allez devoir le faire.
Pourtant, combien d’entre nous avons songé à cet aspect avant de nous inscrire en doctorat ? Qui a anticipé cette expérience et s’est dit « cela ne me fait pas peur » ? Personne. Soit on n’a pas conscience que la validation du diplôme requiert plusieurs communications, soit on pense que le plus difficile n’est pas de parler mais d’acquérir les connaissances pour être en mesure de le faire.
1. Pourquoi vous n’êtes pas prêt ?
Si vous êtes démunis quand le moment fatidique arrive, c’est parce que le contexte de la prise de parole en doctorat est spécifique. Le déni de la prise de parole en public commence avec l’idée qu’on a du métier de chercheur avant de le devenir, et se prolonge jusqu’au dernier moment parce que dans le contexte du doctorat, le fait de parler en public n’est qu’un détail dissimulé dans un recoin de votre projection.
D’une part, réussir à parler en public en recherche c’est d’abord réussir à se faire une place d’intervenant. Avoir le droit de parole en colloque est une réussite en soi. Être en position de parler en recherche, c’est avoir acquis le consentement de ses pairs avant même la prise de parole. Réussir à impacter un auditoire pendant un colloque, c’est complètement secondaire.
D’autre part, tout chercheur qui s’imagine parler en public un jour se projette toujours à l’aise dans sa parole. Il pense que le doctorat fera de lui un expert et il perçoit les autres chercheurs qui ont la parole comme des experts.
Tout doctorant qui se prépare à intervenir en colloque aura le réflexe premier de travailler son expertise, avant de travailler sa prise de parole. Il ne questionne pas la corrélation, il pense que la qualité de la parole découlera naturellement de la qualité du travail.
Donc il travaille. Il polit son expertise. Il rédige souvent sa communication comme il rédige un article. Quand il se relit, il concentre son attention sur les faits dont il parle et non sur son langage ou sur l’enchaînement des phrases. Quand il s’imagine en train de faire son intervention, il se met à la place du public qui va entendre les faits scientifiques dont il s’apprête à parler.
L’image qu’un doctorant a de sa première intervention est souvent une image projetée depuis le public, et non depuis le pupitre. Il ne voit pas le public, il se perçoit lui-même pour estimer le niveau de respectabilité qu’il renvoie et anticiper la façon dont le public va le juger.
C’est tout simplement la pire manière de se préparer à la prise de parole comme c’est la pire manière d’aborder tout avancement important dans la vie : vouloir coller à une image.
2. Pourquoi l’expérience n’engendre pas de réelle aisance ?
Faire mentalement face au public lorsqu’on se prépare à une intervention orale, c’est un signe de maturité en recherche. En sortant de votre première prise de parole, vous avez compris comment mieux vous préparer aux prochaines. Par exemple, si vous écrivez votre communication comme vous écrivez un article, vous êtes condamnés à lire. Regarder le public sera impossible sous peine de vous perdre, vous ne ferez jamais passer d’idée forte et il n’y aura jamais d’émulation scientifique en colloque. En somme, vous ne collerez jamais à l’image.
Vous le savez, vous l’avez normalement compris tout de suite.
Le problème, c’est que cela ne brisera pas le besoin de coller à l’image. Cela va seulement amener une longue phase d’ajustements et de compromis dont beaucoup de chercheurs n’arriveront plus à sortir. Par exemple, vous allez envisager votre communication sous forme de prise de notes. Vous allez donc toujours écrire l’article, puis le transformer en notes – c’est d’autant plus confortable qu’en recherche, on vous fait souvent miroiter une publication après l’intervention.
Les chercheurs plus avancés utilisent des variantes : ils écrivent l’article puis ils préparent des slides sur lesquelles ils s’appuient pour enchaîner leurs idées comme dans l’article. J’ai toujours admiré ceux qui arrivent à faire cela, et j’ai fini par réussir à le faire moi aussi. À partir de là, j’ai commencé à viser le niveau du dessus en voulant ressembler à ceux qui arrivent sans notes et sans diaporama – ces héros qui se passent quasiment de préparation – et j’ai fini par réussir à le faire moi aussi.
Avec quelques années de pratique, vous finirez effectivement par coller à l’image et que vous l’admettiez ou non, vous saurez à ce moment-là que vous avez fait fausse route. Déjà, parce que ce niveau ne s’atteint qu’au prix d’efforts incommensurables. Pour arriver à ce résultat, il faut se faire une violence telle qu’on se perd et c’est d’autant plus pervers qu’en fin de compte, personne ne va reconnaître le sacrifice que vous avez fait de vous-même. Logique, votre aisance est si naturelle.
Ceci est d’autant plus difficile à identifier que l’université d’aujourd’hui est bien souvent un monde d’apparences. Si personne n’a le sentiment d’atteindre la moindre victoire ou la moindre reconnaissance, c’est simplement que chacun s’applique à produire et à cultiver une image. L’université piège les chercheurs par l’image qu’elle renvoie et à laquelle ils veulent à tout prix coller.
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3. Vaincre la peur de parler en public
Si vous voulez être à l’aise dans votre prise de parole, il n’y a qu’une seule solution : cessez de vous forcer à être qui vous n’êtes pas. En l’occurrence, si la peur de parler en public est la plus grande de l’humanité entière, il n’y a aucune raison pour que la communauté des chercheurs y fasse exception – quoi qu’en dise leur ego de sachant (nature 1 – culture 0).
Communiquer et impacter, ce sont deux choses très différentes, c’est comme faire de la recherche et innover. Que l’université l’admette ou pas, faire de la recherche et innover ce sont deux choses très différentes. À l’université, certains font de la recherche et d’autres innovent comme certains communiquent et d’autres impactent.
Reprenez cette fameuse image, celle où vous vous voyez à l’aise dans votre prise de parole. Est-ce que votre but est d’impacter, ou seulement d’être conforme à l’idée que vous avez des chercheurs ? Cette vision polissée, noble presque, est-elle conforme à celle de l’innovation ? Qui sont les chercheurs qui vous animent vraiment dans les colloques et dans les congrès ?
N’a-t-on pas fini de stagner à force de cultiver une projection du savoir au lieu de savoir ?
Vous saurez parler en public quand vous saurez de quoi vous parlez. Dites ce que vous savez de votre sujet en gardant à l’esprit qu’un véritable chercheur sait que plus on en sait, moins on n’en connaît. Savoir de quoi on parle, ce n’est pas tout savoir, c’est savoir où on en est. Vous ne ferez jamais illusion en faisant croire que vous connaissez votre domaine de recherche, qu’auprès de ceux qui font la même chose que vous – et c’est malheureusement une majorité dans certaines ED.
De la même manière, vous aurez de l’impact lorsque vous vous incarnerez. Vous aurez de l’impact lorsque vous vous connecterez aux autres. Vous vous connecterez aux autres lorsque vous les regarderez, et vous les toucherez lorsque vous assumerez ce qui vous réunit.
Dîtes-leur où vous en êtes et vous ne ferez jamais d’erreur. Posez-leur les questions que vous vous posez en recherche, ils y répondront avec vous. Demandez-leur ce qu’ils pensent de vos premières hypothèses, ils vous le diront avec une bienveillance bien plus grande que si vous affirmez des choses erronées. Parlez de l’histoire de vos recherches, des difficultés que vous rencontrez, montrez-leur les chiffres et les œuvres, les données, leur curiosité sera piquée et vous les impliquerez. Être vous-même, c’est rappeler à ceux qui l’ont oublié que c’est cela, un colloque.
Innover en recherche ce n’est pas connaître, c’est chercher. Un chercheur qui a deux ans d’expérience a plus de questions que de réponses, et c’est cela qui est impactant. Qu’est-ce qu’un chercheur impactant qui a trente ans d’expérience ? C’est un chercheur qui a encore autant de questions que le doctorant. Tout le reste n’est qu’apparat et apparences.
Même si certaines carrières forcent le respect, il n’y a rien de moins innovant qu’un chercheur qui s’écoute parler en congrès, alors faites-vous confiance et ne vous occupez que de ceux qui font l’effort réel d’innover. Votre auditoire en sera tellement restreint que vous en oublierez le nombre, et votre carrière ira enfin dans le sens d’une saine et complète reconnaissance.
Si vous sentez que vous avez besoin d’aide pour préparer une première prise de parole ou de vous retrouver enfin dans la prochaine, prenez rendez-vous avec moi.
Prenez soin de vous, et à la semaine prochaine.
Erika