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LES COMITÉS DE SUIVI DE THÈSE, ON EN PARLE ?

Les comités de suivi de thèse ont été mis en place en 2017. À ce moment-là, j’étais en troisième année de doctorat et j’étais élue au Conseil de laboratoire ainsi qu’à l’école doctorale comme représentante des doctorants, donc j’ai suivi très étroitement leur mise en place et j’étais en première ligne pour informer les doctorants, les guider et recueillir leurs nombreux questionnements vis-à-vis de ce comité. Et je peux vous dire que leurs craintes se sont révélées fondées, car ce qui avait été annoncé au départ comme une mesure de prévention contre les conflits et les problèmes de harcèlement de la part des directrices et directeurs de thèse envers leurs doctorants, s’est rapidement transformé en tout autre chose.

Alors, quelles sont les problématiques qui se sont imposées après quatre ans, et comment gérer son comité de suivi de thèse à présent ? C’est le sujet qu’on aborde aujourd’hui.

1. Enjeux et problématiques du CST

Au départ, la mise en place du CST partait d’un bon sentiment, et je dois dire que la mesure a été bien accueillie par les représentants élus parce que les problématiques de conflits avec les directeurs étaient de plus en plus courants et conduisaient à des catastrophes que personne ne semblait pouvoir éviter. C’était vraiment problématique. L’annonce de ce projet a donc été perçu comme une bonne proposition, en cela qu’elle offrait aux doctorants la possibilité d’avoir des interlocuteurs désignés par lui pour évoquer les problèmes, souvent graves, qui étaient rencontrés avec le directeur de thèse.

Notre rôle était donc d’insister sur le fait que chaque doctorant devait absolument choisir des personnes de confiance, et non des personnes proches du directeur puisqu’en cas de problème, l’utilité du CST se révèlerait caduque. Pour nous, l’enjeu de ce choix était vraiment central et nous avons largement informé là-dessus à titre de prévention. Je me souviens donc parfaitement qu’au départ, les doctorants avaient un large choix, qu’ils pouvaient se tourner vers qui ils voulaient, Professeur HDR ou maître de conférence, dans l’université de rattachement ou non, donc les membres pouvaient être extérieurs à l’université dans laquelle nous étions inscrits, et surtout chaque doctorant était décisionnaire du choix des membres de son CST. C’était concerté avec le directeur, mais ce dernier n’avait pas le dernier mot.

Aujourd’hui, il y a un flou énorme par rapport à tout cela et à mon avis, c’est extrêmement problématique. Premièrement, chaque école doctorale a sa propre charte concernant le CST. Ce qui veut dire que les modalités de la mise en place des comités de suivi de thèse ne sont pas les mêmes à Lille ou à Paris, à Marseille ou à Lyon, et pour le coup chaque école doctorale a vraiment son propre fonctionnement donc c’est totalementdifférent d’une école à une autre. Comment se concerter entre doctorants de différentes écoles, notamment sur les groupes externes aux universités, dans de telles conditions ? Plus personne ne peut plus conseiller ou aider qui que ce soit, tellement les modalités sont variées d’une école à une autre – et parfois même au sein d’une même université, comme c’est le cas à La Sorbonne.

Quand on fait une recherche par école doctorale, on s’aperçoit tout de même d’un point commun entre la plupart des écoles, c’est que le doctorant n’est plus décisionnaire dans le choix des membres de son CST. C’est le seul point qui soit vraiment clair quand on regarde sur le site des écoles doctorales, où on apprend par exemple qu’à Strasbourg, « les experts sont choisis conjointement par le DT et le doctorant. » À l’EHESS, « le choix des membres du comité de thèse relève du directeur ou de la directrice de thèse en accord avec le ou la doctorant·e ». Dans ces deux exemples, le directeur de thèse a donc bien son mot à dire sur le choix des membres du CST, et on imagine mal un doctorant imposer son choix face à celui de son directeur. Ce serait source de conflit, non ?

À la Sorbonne, cela dépend des écoles. Dans l’ED II, « le comité de suivi est constitué de deux à quatre membres désignés par le/la directeur/trice du laboratoire de rattachement, mais qui ne sont pas nécessairement issus de ce laboratoire », dans l’ED III « les comités de suivi sont constitués par l’école doctorale et comportent deux enseignants chercheurs rattachés à l’ED » et dans l’ED IV « le comité de suivi est constitué de deux enseignants-chercheurs, sur proposition du/de la directeur/trice de thèse. »

Il serait vain de citer le fonctionnement de chacune des ED françaises. Ce qui est sûr, c’est qu’un rapide coup d’œil sur les différents sites permet de comprendre immédiatement que le doctorant n’a en réalité plus vraiment le choix des membres du CST et par suite, que le rôle et la vocation du CST sont à questionner, voire à remettre en cause : si les doctorants ne peuvent plus choisir les membres de leur CST, et si ce choix est donné au directeur de laboratoire, de l’ED ou de la thèse, comment espérer que le doctorant pourra confier ses difficultés à ces personnes ? Comment confier à un Professeur ou à un maître de conférence qu’on ne connaît pas – comprendre, dont on ignore tout des relations avec le directeur de thèse, qui peuvent être excellentes comme exécrables et avec qui on n’a peut-être jamais échangé ou bien avec qui, justement, nous avons des divergences – les problèmes qui sont rencontrés avec le directeur ?

Mais le plus intéressant réside dans les précisions apportées par certaines écoles doctorales quant à la définition des dits problèmes. Ainsi, on peut lire sur le site de l’université de Lorraine qu’« il faut faire la distinction entre les problèmes graves et les plaintes mineures. Les conflits mineurs sont courants dans tout milieu de travail. Seuls les problèmes pouvant entraver le progrès de la thèse, ou affecter sa future carrière doivent être relatées. » Il faudrait donc déterminer, avant d’en parler au CST, si le problème rencontré est mineur ou s’il est grave. Mais la confusion va plus loin car il est ensuite précisé : « Dès lors que le doctorant rencontre des problèmes graves (conflit, harcèlement…), l’Université de Lorraine a mis en place un dispositif de recours. » Ah bon ? Ce n’est donc pas le CST ? Non, à l’université de Lorraine, si vous avez un problème de harcèlement avec votre directeur, vous êtes redirigé vers un lien où il n’est plus question du doctorat ou de la thèse, mais de l’engagement de l’université de Lorraine.

On en vient donc à la question du rôle du CST, qui était bien à l’origine de constituer une instance en-deçà du travail de recherche, et permettant aux doctorants de s’exprimer sur les difficultés qu’ils pouvaient rencontrer dans leurs relations avec son directeur. Il était précisé dans la charte qu’il ne s’agissait « pas d’un examen scientifique de la thèse ». Aujourd’hui, qu’en est-il ? Les réponses sont variées aussi dans les textes et le tour d’horizon le montre : la plupart des écoles doctorales se rejoignent sur le fait que le CST n’a pas vocation d’encadrement scientifique, et pourtant le doctorant doit systématiquement produire un état de sa recherche scientifique pour l’exposer aux membres du CST. À l’EHESS, il est à ce titre précisé que le déroulement du CST se fera en trois temps, avec un premier temps dédié à « un exposé du doctorant sur son projet et l’état d’avancement de ses travaux suivi d’une discussion scientifique entre le doctorant et le comité. » Ah bon ?

À l’université de Lorraine, le CST « permet une évaluation externe afin de s’assurer que les étapes de développement du travail de thèse soient cohérentes et la progression appropriée. » À Strasbourg, on peut lire qu’« à l’issue de la présentation scientifique (exposé et questions du comité), le CST fait le point avec le doctorant sur l’appropriation du projet de recherche par le doctorant, l’avancée des travaux et évalue les conditions de la formation. » À Toulouse ? « Les recommandations émises par le CST visent à évaluer la progression du (de la) doctorant.e au cours de son parcours afin de lui permettre d’évoluer scientifiquement et de terminer ses études dans le temps requis. » Ah bon ?

Toutes ces universités ont pourtant bien stipulé dans leur charte que le CST n’avait pas pas vocation à évaluer le travail scientifique, qui reste à l’appréciation des directeurs de thèse et des laboratoires lors des entretiens de passage – un autre vaste sujet. Pourtant, si on regarde plus bas, on trouve systématiquement que dans les faits et dans le déroulement des entretiens, la question de l’évolution et de la qualité scientifique du travail des doctorants est à l’honneur. Comment cela se fait-il ? Comment les chartes peuvent-elles se contredire à ce point ? Qu’en est-il vraiment des enjeux de ces comités de suivi de thèse ? Si quelqu’un est chaud, nous avons là ce qui ressemble à un vrai sujet de thèse !

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2. Gérer son CST

Alors, comment on gère ? Je pense que sous la variété des versions de la charte du CST, il faut comprendre que pour les écoles doctorales, l’enjeu est d’abord de déléguer la gestion des problèmes et des conflits entre les directeurs de thèse et les doctorants. La direction de l’ED veut éviter d’avoir à intervenir auprès des directeurs de thèse, pour des raisons évidentes, et par la mise en place de ces CST l’objectif est certainement davantage de laisser la gestion de ces conflits aux directeurs de laboratoires que de proposer des solutions concrètes aux doctorants. Et ça paraît logique parce que dans la pratique, la direction de l’ED n’a aucun pouvoir hiérarchique sur les Professeurs HDR. Un responsable de laboratoire est beaucoup plus à même d’intervenir, même si dans les faits il est très délicat pour lui de le faire dans le cadre d’un conflit avec un doctorant.

Pour le dire autrement, personne n’a envie de se mêler d’un cas de harcèlement, le statut du Professeur HDR lui permettant d’être quasiment intouchable dans son environnement académique – c’est un fonctionnaire de catégorie A+. Il a donc fallu trouver un moyen de gérer les conflits graves, c’est-à-dire de préférence à l’amiable. Le problème, c’est que dans les faits le doctorant n’a plus le choix de ses interlocuteurs, et qu’il revient généralement à des membres d’un même laboratoire, à des collègues donc, de gérer des conflits et des problématiques qu’ils n’ont absolument pas vocation à gérer. Il est désormais clair que la mise en place du CST n’est qu’un moyen supplémentaire de contenir les problèmes, et de faire comprendre aux doctorants que les problématiques qu’il peut rencontrer doivent être avant tout d’ordre scientifique pour être entendues lors d’un CST.

Comment gérer les problèmes de harcèlement ? Ce ne sera pas dans le cadre du CST. Comment gérer le CST ? Chers doctorants, le mieux que je puisse faire est de vous donner quelques conseils. Le premier, c’est de faire le maximum pour imposer les membres de votre choix dans votre CST. Ne soyez pas forts, soyez habiles. Prenez conscience que c’est extrêmement important, et que nul n’est à l’abri d’un problème grave avec son directeur – j’entends par là tout problème pouvant conduire à l’abandon de la thèse et tout problème qui mette en péril votre santé psychique. Pensez-y sérieusement durant votre première année de thèse, car il y a là un véritable enjeu pour le bon déroulement de la suite. Évitez les amis de vos directeurs, évitez les PR et MCF qui sont dans le même domaine de recherche que votre directeur, privilégiez des femmes si vous êtes une femme, et si la charte de votre ED le permet, sollicitez au moins un PR/MCF qui exerce dans une autre université. Il s’agit donc de prendre le temps de les repérer, et donc d’y penser le plus tôt possible dans votre cursus.

Même si les problématiques avec les directeurs sont monnaies courantes en doctorat, il faut aussi penser à tous les doctorants qui doivent se farcir l’entretien annuel alors qu’ils n’ont pas de problème particulier avec leur directeur, ou disons dont le travail de thèse et la santé psychique ne sont pas altérés gravement par les relations avec le directeur – c’est souvent pénible tout au plus. Dans ces nombreux cas-là, le CST est perçu par le doctorant comme un entretien stressant qu’il faut préparer comme un entretien de passage, puisqu’il est stipulé dans quasiment toutes les chartes que si le CST n’a pas vocation à apprécier l’avancement du travail scientifique, il a quand même le rôle de produire un rapport et de donner « un avis » sur la décision d’accorder ou non les années dérogatoires notamment.

L’intérêt ici de choisir les membres de son CST est toujours aussi central. Il vous faut absolument des membres qui vous connaissent, qui ont un regard bienveillant sur votre travail, car il y en a énormément. Ça peut être un ancien professeur de licence, une personne qui était là lors de vos soutenances de master, un intervenant rencontré lors d’une formation doctorale, un MCF/PR rencontré sur une journée d’études, ou le MCF/PR qui gère les représentants des doctorants dans votre laboratoire – il ou elle sera conscient.e des problématiques des doctorants du labo et y sera sensible.

Surtout, ne vous inquiétez pas outre mesure de l’issue d’un entretien CST. Son but n’est pas de vous démolir – ou alors changez d’urgence les membres du vôtre, vous en avez le droit – mais bien de vous permettre d’évoquer des problématiques que vous n’avez pas l’habitude d’aborder avec votre directeur. J’ai souvenir d’avoir eu des membres particulièrement bienveillants, qui connaissaient mon directeur, avec qui j’ai eu la chance d’avoir de bonnes relations mais qui ne répondait pas toujours à mes questionnements de fond. J’abordais donc toujours mon CST avec l’envie d’échanger sur des points que j’avais moi-même déterminés à l’avance, afin d’avoir la main sur les sujets de discussion dans le temps imparti – souvent court, ils ont autre chose à faire. Soyez maîtres de l’échange, proposez les sujets.

Cette année, vous avez certainement eu à faire face à des problématiques liées à la crise sanitaire. Vous n’avez pas eu accès aux sources ? Dites-le avant qu’on vous reproche de ne pas avoir eu les bonnes sources en main. Vous avez souffert de l’isolement ? Dites-le avant qu’on vous reproche d’être isolé. Vous n’avez pas validé de crédits doctoraux ? Dites-leur que dans un premier temps, vous avez souhaité attendre le retour des formations en présentiel, car vous avez à cœur de valider ces crédits dans de bonnes conditions. Vous avez le sentiment d’avoir peu avancé ? Dites-leur que vous avez l’impression de ne pas avancer ; cela leur évitera de vous annoncer que vous n’avez pas suffisamment avancé, et vous verrez qu’au lieu de vous accabler, ils vous suggéreront des solutions auxquelles vous n’aurez peut-être pas pensé.

Vous voyez ce que je veux dire ? C’est votre formation doctorale, ce n’est pas la leur. À vous d’évoquer les problématiques, que vous n’êtes pas coupables de rencontrer. N’ayez surtout pas peur d’elles et portez-les de vous-même devant votre CST. C’est tout ce qu’il veut : voir que vous en êtes conscients, qu’elles ne vous submergent pas – même si c’est le cas par moments – et que vous êtes en quête de solutions.

Bon courage à toutes et à tous !  

Erika

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Photo de Sora Shimazaki sur Pexels.com
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